Chroniques de l’intimité connectée

Pour les Chroniques de l’intimité connectée du collectif des Mardis du Luxembourg, Jean-Marc Goachet* a rédigé avec sa fille Analie âgée de 14 ans, une nouvelle intitulée : Reconstruction numérique où, après un accident dont on ne sait rien, un homme a perdu le souvenir de ses 10 dernières années.

 

–      Jean-Marc, votre personnage revient 10 ans en arrière : c’est une vraie claque, plus rien n’est pareil ?

 

En apparence, le monde n’a pas tellement changé, à quelques détails près. Des bornes Autolib ont été installées ici et là, les panneaux publicitaires se sont convertis aux LED et les transports en communs sont bondés de passagers les yeux rivés sur leurs écrans. Fini les téléphones à clapets, notre personnage ne va pas tarder à s’apercevoir que quelque chose a changé. Les téléphones sont plus plats, plus grands, plus lumineux, sans touche apparente. Les smartphones ont fait leur entrée en scène. Des objets qui cristallisent à eux seuls la bascule dans une nouvelle ère. Certains parlent même d’une nouvelle révolution industrielle. En 10 ans, le changement engendré par Internet s’est répandu par les usages, véritables véhicules de la transformation. D’un Internet 1.0 limitant l’internaute à la consultation d’informations en ligne, nous sommes passés à un web 2.0 marqué par la conversation et l’expression des internautes, puis à un web 3.0 marquant l’exploitation et la valorisation de la data par et grâce aux algorithmes pour en finir, pour l’heure, au 4.0, le web de la transformation des entreprises, voire de la société dans son entier, cette probable révolution industrielle. Toutes ces étapes ont été franchies sur une échelle de 10 ans, plutôt vite à l’échelle de l’humanité. Une évolution où chacun a tenté de décrypter le mode d’emploi tout en la croquant à pleine dent. De simple consommateur, l’individu est devenu commentateur, notateur, producteur…. et s’est ainsi répandu sur le web sans toujours s’en rendre compte. Le drap que soulève alors notre amnésique sur 10 ans de vie oubliés va lui révéler un trésor multi-facettes à explorer avec précaution.

 

–      Cette nouvelle, vous l’avez écrite à 4 mains : pourquoi ce choix?

 

 

Pour Analie : Lorsque que mon père a partagé avec nous sa première version, je n’étais pas d’accord avec sa vision sur l’histoire. Il m’a donc proposé de reprendre la trame avec lui. Nous ne sommes pas de la même génération, donc nous avons un usage différent d’Internet. Mon père envisageait que le personnage se reconstruise grâce à tout ce qu’il allait trouver de lui sur Internet. Et moi, qu’il recommence une nouvelle vie, car tout ce que nous mettons sur Internet est prévu pour ne donner qu’une bonne image de nous et ne pas être forcément vrai. L’histoire aurait donc montré qu’il se serait reconstruit sur des faits pas forcément véridiques.

 

Pour JM : J’ai souhaité associer Analie à cette nouvelle car le digital est l’affaire de tous et surtout celle des générations à venir qui devront vivre avec. Le digital a la particularité d’être le fruit des usages que l’on en fait. Alors, autant en profiter pour le dessiner ensemble.

 

 

–      Analie, pourquoi avoir accepté, ou choisi, de participer à cette nouvelle?

 

C’est un sujet intéressant. Se reconstruire entièrement grâce à Internet n’est pas un choix facile. La génération de mon père a découvert Internet et l’a utilisé sous toutes les formes possibles. Ils s’y sont habitués, ont évolué avec, l’ont utilisé et l’utilisent sans restriction, sans mode d’emploi.

Ma génération utilise Internet de manière plus précise. On ne met que le côté parfait de notre vie, tout est prévu et calculé pour que sur Internet il n’y ait que des choses qui nous mettent en valeur. Donc, le choix de se reconstruire sans Internet après avoir été amnésique peut lui permettre de recommencer une nouvelle vie.

 

 

–      Comment une jeune fille de 14 ans voit notre monde ? Est-il loin de celui dans lequel elle espère vivre un jour ?

 

Notre monde est comme nous l’avons conçu, et je ne pense pas qu’il soit le meilleur. Il est rempli d’inégalités, d’injustices, d’incompréhension et de lâcheté. À croire que l’on a créé les humains pour qu’ils se battent et se détruisent entre eux. On a l’impression que la couleur de  notre peau nous rend différents des autres, que nos origines effraient, que notre morphologie répugne. En somme, qu’une personne différente de nous est un extraterrestre. Certaines personnes ne comprennent pas que nous sommes tous humains, tous pareils et tous égaux.

 

Le monde dans lequel je vivrais plus tard est tout simplement celui que l’on me laissera. Nous sommes une génération à qui on laisse un fardeau très lourd à porter.

Mais nous avons aussi participé à la création d’une arme destructrice pour les personnes de ma génération et celles qui viendront après : les réseaux sociaux. On les utilisent en sachant parfaitement quelles seront les conséquences de l’acte digital que l’on vient de faire. Se moquer, insulter, blesser quelqu’un par les réseaux sociaux est devenu aussi grave qu’une altercation physique.

La seule faille à cette arme est que ce qui est sur Internet, reste sur Internet.

 

–      Les nouveaux objets communicants, et bientôt connectés, c’est fascinant, ou juste une réalité ?

 

Pour Analie : Je ne m’intéresse pas vraiment aux nouveaux objets communicants et bientôt connectés, mais je pense que cela peut et pourra nous faciliter la vie. Les inventions, les innovations ainsi que les évolutions technologiques pourront faire que peut-être bientôt, une puce pourra être intégrée en nous et nous permettre d’avoir un téléphone intégré dans notre main, une source d’information infinie en nous, pouvoir payer avec notre empreinte…. Mais cela sonnera la fin de notre intimité et de notre liberté de penser.

 

Pour JM : C’est fascinant mais pas encore complètement réel. Les objets communicants nous entourent certes petit à petit dans notre quotidien. Connectés à notre téléphone, nous obtenons des informations envoyées par les capteurs : rythme cardiaque, températures du corps, allure et rythme de votre marche… Tout ce qui est peut-être capté va l’être et c’est relativement facile. En revanche, c’est dans l’analyse et les recommandations permises par le traitement des algorithmes que les objets connectés deviendront une réalité apportant une réelle valeur ajoutée. Le prédictif, l’ajustement, la projection, l’anticipation seront les facteurs différenciants de ces objets devenus connectés pour le meilleur, comme pour le pire.

 

 

* pour échanger sur twitter : @jmgoachet

 

 

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