Georges, tu te présentes aujourd’hui comme mythologue : c’est quoi, un mythologue … et surtout, un mythologue au 21ème siècle ?
Il y a ou il y eut de célèbres mythologues comme Roland Barthes qui donne cette définition des mythes : « ce sont les mythes qui rendent les événements intelligibles, qui font passer le réel à l’état de langage. » Et aujourd’hui, à l’heure numérique, on pourrait ajouter le langage à l’état de réalité. Les humains pensent depuis 100 000 ans et depuis cette très lointaine époque, leurs angoisses, leurs espoirs sont les mêmes. Ils se situent par rapport au monde, par rapport aux forces naturelles, par rapport à certains de leurs semblables. Et depuis toujours, ces humains, c’est-à-dire vous et moi, nous nous situons par rapport aux mêmes oppositions binaires. La technologie évolue mais les êtres humains ont le même cheminement de pensée qui se retrouve au travers des quelques mythes « ces histoires que les hommes croient vraies » et qui structurent notre esprit. Je suis un mythologue mais aussi un spécialiste des marques, du branding, de ce marketing très spécifique de la marque. La plupart des consultants travaillent sur les ruptures ; je travaille sur les continuités. Lorsque derrière une marque, on dévoile le mythe, les trois quarts du travail sont déjà faits, car le mythe pré-existe à la marque ; C’est lui qui va tirer la marque.
– Tu t’attaques aujourd’hui à un des récits les plus anciens, celui de la fuite de Moïse d’Égypte : pourquoi ?
J’ai pris comme « benchmark mythique » le personnage de Moïse comme le symbole du leader qui veut essayer de libérer le monde ; Moïse libère son peuple de l’esclavage et apporte à la fois le monothéisme et des règles de libération de la vie pour les êtres humains : le jour chômé du shabbat, des règles protectrices contre les dettes, le repos de la terre un an sur sept…
Moïse comme plus tard d’autres leaders qui ont marqué leur époque, au-delà des règles pour « son » peuple génère des règles universelles toujours en vigueur. Steve Jobs, l’autre Moïse et comme lui orphelin libère non seulement l’informatique de la lourdeur mais il libère les humains de la matière en diffusant la culture numérique.
J’ai voulu écrire aujourd’hui, avec des personnages d’hier réécrire (toujours cette volonté de montre la continuité des situations humaines) le mythe du leader en but à toutes les tracasseries des humains « normaux » face à un géant. Mon univers est celui de l’entreprise. Ce Moïse, lui qui comprends intuitivement le marketing, les consommateurs, sera donc confronté aux gens du marketing qui veulent appliquer des formules usées.
Pas facile de gagner face à une société organisée !
– Derrière cette nouvelle histoire de Moïse, se profile le transhumanisme : n’est-ce pas là, le mythe moderne ultime ?
Le « vrai » Moïse libère les humains des puissants sur terre, du Pharaon, en substituant un dieu unique dans le ciel, le seul devant qui, les peuples peuvent se prosterner. Steve Jobs libère les hommes de la matière. Mon Moïse rêve d’apporter à l’humanité la fin de la mort et en particulier la fin de la souffrance. Les êtres humains, grâce à ses découvertes vont pouvoir vivre plus longtemps et en bonne santé. Ce rêve est sans doute la dernière folie humaine, le dernier rêve des hommes qui se prennent pour des dieux et veulent devenir éternels à leur instar. Mais le veulent-ils vraiment ? Ou rêvent-ils de l’espoir d’obtenir cet objectif inatteignable ?
Si j’avais un seul message à porter – les auteurs n’ont souvent qu’une seule chose à dire – c’est que le fondement humain repose sur l’espoir, cet instinct second qui nous différencie sans doute de l’animal. C’est aussi notre moteur. Peu importe de vivre éternellement ! Mais quel espoir extraordinaire de pouvoir entretenir ce rêve, surtout si l’on est persuadé de ne jamais pouvoir l’atteindre. Voilà toute la beauté de la tension humaine entre espoir et certitude que ce n’est pas possible. Mais espoir tout de même, le mythe des mythes !