Delphine Duran-Lesecq, coprésidente du Club Innovation Adetem

Delphine, vous êtes coprésidente du club innovation de l’Adetem, mais également experte en études marketing après une carrière en institut (Millward Brown) et chez l’annonceur (Thomson, Newell Rubbermaid). Aujourd’hui, plus personne n’est directeur d’études : on parle de Consumer Insight Manager, de marketing intelligence… Pourquoi ce changement ?

– Les études sont un des moyens pour recueillir des informations, des données, de la connaissance clients et marchés parmi d’autres. Ce métier des études passionnant évolue et doit se réinventer : sa valeur ajoutée ne réside pas seulement dans l’audit des besoins internes en “connaissances” et le pilotage de partenaires instituts fournisseurs pour recueillir ces données/informations mais dans la capacité à donner du sens à cette connaissance, à la transformer en “insights” pour nourrir la stratégie.
Le consumer insight tout comme le marketing intelligence ou encore le knowledge management sont des termes anglais difficiles à traduire, ils revêtissent cette dimension stratégique de passage de l’information/la donnée brute à la connaissance utile et intelligente, en lien direct avec des recommandations marketing ayant un impact business. On parle alors d‘insights into action.
Il serait cependant utile à la profession de trouver un nom de fonction “universel” car la multiplication des dénominations peut ne pas aider à clarifier notre mission et notre rôle dans les organisations, qui en cette période de mutation sont parfois questionnés.

–      Hier le département études de marché possédait les meilleures informations sur le consommateur ; aujourd’hui, avec le big data, les médias sociaux, comment doit-il se repositionner ?

– Le métier doit se repositionner sur l’interprétation de connaissance clients multi sources (et non pas que par le recueil lié aux études).
Sa valeur ajoutée réside dans l’intégration des différents sources combinée à surtout  l’intelligence conférée à cette connaissance consommateurs et marchés au service de la transformation business et stratégie d’entreprise.
Le département études est un vrai partenaire et consultant stratégique des autres fonctions de l’entreprise, notamment marketing mais aussi RD, Innovation, IT, Digital, Ventes, etc… Il est donc à l’interface et travaille en mode projet transversalement. Il est le véritable garant de la connaissance clients et trait d’union ‘neutre’ entre l’interne et l’externe. Son rôle doit être actif, voire pro-actif et plus seulement en support. Une option est d’ailleurs que la fonction devienne indépendante des BU et donc du marketing.

–      L’innovation vient souvent de la R & D et des ingénieurs : comment doivent se situer les études dans ce schéma et comment peut-on faire en sorte que la voix du consommateur soit entendue ?

Une innovation ne peut plus reposer sur la technologie et R&D pure, pour qu’elle rencontre un marché sa valeur ajoutée doit être non seulement économique mais aussi sociétale. Une innovation réussie est une innovation dérivée de l’usage et donc du consommateur. Elle est d’ailleurs le plus souvent “servicielle”. L’innovation est devenue vitale pour nombre d’entreprises associée à la “customer centricity” ou “culture clients”.

La position des insights par rapport à l’innovation est donc cruciale :
-> En amont : en tant que chasseurs de tendances, en particulier sociétales, garant des besoins et attentes consommateurs et véritable “poil à gratter” afin d’inspirer, de faire bouger voire de tomber les lignes et de générer de nouvelles idées.
-> En aval : pour s’assurer que l’innovation apporte un réel bénéfice consommateur et donc répondra à un marché potentiel à son lancement.

Le marketing est donc aujourd’hui nécessairement au cœur de l’innovation: pour être entendue, la fonction insights doit être intégrée dans le processus d’innovation quand il existe. Ainsi l’approche “design thinking” en innovation part des insights.  En réalité, l’implication des insights dans les processus innovation dépend des contextes et cultures d’entreprises et du type d’innovation. Ils demeurent aussi un investissement certain de ressources et de temps.

Une innovation incrémentale peut reposer sur la seule l’intuition d’un marketeur, même dans un grand groupe. S’il s’agit plus d’une innovation rupturiste avec un nouveau territoire (type océan bleu), la compréhension des usages et modes de vie génère souvent les meilleures idées à l’origine des innovations…

D’ailleurs, les deux fonctions insights et innovation travaillent de plus en plus ensemble, voire sont intimement liées dans maintes organisations de grands groupes, ce qui est la cas chez Newell.
Pour aller plus loin sur ce sujet, j’ai participé en 2015 à l’étude TNS/Accenture/Adetem sur innovation et voix des clients chez l’annonceur (disponible en synthèse sur le site TNS).
–      Les startups les plus innovantes négligent souvent les études : sont-elles toujours si nécessaires ?

Dans une start up, l’idée vient le plus souvent de l’usage et du consommateur, donc d’un insight à laquelle on associe la technologie et le digital. Les facteurs temps et ressources mentionnés ci dessus sont alors clés dans ce contexte parce que limités au départ: le bon timing de lancement prime sur le risque encouru. Du coup, l’idée ne vient pas nécessairement d’études consommateurs en tant que telles mais par contre, le consommateur est souvent directement impliqué dans le développement même des produits ou services: l’approche “test and learn” est  alors adoptée et peut tout à fait fonctionner.
Les insights consommateurs restent au cœur du business.

–      Le marketing a eu du mal à intégrer les nouveaux comportements de la Génération Y (zapping continuel, chat permanent, la vie personnelle qui déborde sur la vie professionnelle, etc.) ; arrive la Génération Z : comment peut-on s’y préparer pour leur proposer des produits innovants mais pertinentes ?

Les générations Y et Z bouleversent les repères de nos générations, encore souvent à la tête des directions marketing. Ils ont un rapport à l’espace, au temps, à la mobilité, à la communauté, à l’argent etc… qui tourne autour de l’usage, de l’expérience et du bénéfice. Les observer dans leurs modes de vie et comportements, les écouter, dialoguer avec eux sont déjà une clé d’entrée dans leur univers. Cela demande aussi de réinventer les méthodes de recueil classiques et d’intégrer nombreuses façons de le faire, dont beaucoup peuvent s’appuyer sur le digital.

Rajeunir les directions en intégrant de plus en plus ces générations est aussi un facteur clé de succès (exemple d’Accor et de son shadow comex).

Du coté de nos métiers de compréhension des individus, de nouveaux métiers naissent également en permanence autour du digital, de la data, de l’expérience client mais pas que… collaborer avec ces nouvelles façons de penser et d’appréhender le business nous aidera à innover, en répondant mieux aux attentes de ces générations qui elles aussi les attentes se créent, se défont et évoluent sans cesse. Le Real Time est donc également un vrai levier pour s’adapter et innover avec succès.

La versatilité de ces générations est sans conteste ce qui les caractérise, ce qui rend leur appréhension complexe mais pas impossible et passionnante !

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