Jean-Marc (Goachet), tu es Social Media Manager de MINES ParisTech (= pour ceux qui ne connaissent pas : l’École des Mines de Paris) ; tu as participé à la rédaction des “Médias sociaux expliqués à mon boss” ; tu es également Coprésident du Club Marketing 2.0 de l’Adetem.
1. Tes différentes fonctions te conduisent à gérer de nombreuses relations professionnelles, tant « réelles » que « virtuelles » : on a de plus en plus l’impression de naviguer dans un microcosme social très fluctuant …
Fluctuant décrit bien la situation. Réel et virtuel se mêlent allègrement car ils forment à présent un continuum. Que la relation ait été initiée lors d’une rencontre physique ou suite à un échange sur twitter, nous opérons un va et vient permanent sans frontière. La distance et le temps s’effacent. Sur la base de ce constat, il s’agit de donner du sens à la relation pour qu’elle s’enrichisse, soit naturelle et durable. L’effacement de l’espace-temps n’est pas une raison pour être joignable à n’importe qu’elle heure ou user d’un quelconque don d’ubiquité qui n’existe pas. Cette fluctuation implique une plus grande souplesse et moins de formalisme dans l’échange. Une plus grande agilité « mentale » dans la logistique relationnelle, en quelque sorte.
2. Toute cette agitation sur les médias sociaux, tant professionnels que personnels, certains l’ont qualifiée d’intelligence collective : en quoi peut-on la qualifier d’intelligence ?
Toute agitation crée de l’énergie. Frottement, croisement, entrechoquement… l’illustration même du chaos producteur d’un état nouveau. La création nait de la rencontre. C’est exactement ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas le nombre qui fait qu’on réfléchisse mieux, mais l’intérêt et l’objectif qu’on se donne de réfléchir à plusieurs qui va créer de la valeur. Car même si on peut qualifier d’intelligence collective les interactions sur le web, le résultat n’est pas toujours au rendez-vous. L’idée ne naît pas du hasard. Le processus de co-création fonctionne à condition qu’il soit organisé. Que la plateforme soit prévue pour accompagner la création de nouvelles idées. Les réseaux sociaux relaient beaucoup et créent finalement assez peu. C’est pour cela qu’il ne faut pas confondre intelligence et influence. Un collectif sera plus souvent influent qu’intelligent.
3. Dans le domaine de l’intelligence, l’autre grande tendance actuelle, c’est l’intelligence artificielle : l’homme, en tant qu’individu isolé serait-il désormais dépassé par le groupe d’une part, et la machine, de l’autre ?
S’il doit être dépassé, l’individu isolé l’est sans doute plus par le groupe que par les machines d’aujourd’hui. Les projets de co-création, d’innovation ouverte montrent qu’en réunissant des expertises et des points de vue différents, on a plus de chance de réussir qu’en restant seul dans son coin, même avec les meilleures idées du monde. Nous devons nous préparer à « cohabiter » avec l’intelligence artificielle. Une intelligence qui nous dépasse sur plus d’un plan : force de calcul supérieure à la nôtre, capacité à analyser plusieurs situations à la fois, fatigue inexistante à part épuiser la carte mère… Une intelligence qui nous complète plus qu’elle ne nous domine, même si l’intelligence artificielle de Google a montré sa capacité à supplanter l’homme dans le jeu de Go. C’est l’usage de l’intelligence artificielle qui fera qu’elle dépassera l’individu ou pas. En attendant, elle nous permet d’être plus efficace en médecine en palliant certains handicaps, par exemple.
4. On s’aperçoit que les nouveaux dominants, les GAFA, notamment Google et Facebook, investissent massivement dans les médias sociaux et l’intelligence artificielle : la voie du pouvoir de demain ?
Concernant les médias sociaux, les GAFA, et maintenant les TUNA expriment leur pouvoir par la puissance du nombre et la capacité à s’adresser aux membres connectés. Car une connexion constitue autant d’informations exploitables et commercialisables, mais également un moyen de devenir l’intermédiaire qui facilite la connexion. On entre véritablement dans la société de service. De smoomville à AirBnB, ces sociétés ne possèdent pas, les « intermédiarisent ». La création de valeur se fait sur le lien… et sur le dos de ceux qui possèdent, autrement dit qui investissent. Cette question du pouvoir est au centre de la nouvelle révolution « industrielle » que nous vivons.
Pour ce qui est de l’intelligence artificielle, le pouvoir qu’elle pourrait détenir à terme ne fera pas que questionner la création de valeur économique, mais bien plus. Le développement de l’intelligence artificielle nous amène à réfléchir à la condition humaine, à son immortalité, à la segmentation des êtres humains, à leur attribution de nouvelles capacités… surhumaines. Ce nouveau pouvoir résidera dans les recherches menées en la matière mais dépendra également de notre Raison. Sa détention devra être collective et encadrée pour que le genre humain puisse le rester.