Placer le consommateur au cœur de l’innovation

Entretien sur l’innovation avec Laurent Ponthou, Directeur de la Transformation chez Orange

Dans les années 90, quand on demandait aux Français ce qu’ils penseraient d’un téléphone sans fil permettant de communiquer dans la rue, ils disaient que ça ne marcherait jamais : pour l’innovation, on ne peut plus se fier aux consommateurs comme avant ?

Si le consommateur des années 90 répondait qu’un téléphone sans fil ne marcherait pas, c’est peut-être parce qu’il se le représentait comme un appareil volumineux, lourd et peu pratique, pour faire en gros la même chose que ce qu’il faisait déjà. Pourquoi s’encombrer, et sans doute payer cher, alors que les cabines téléphoniques étaient partout pour appeler, avec tout le confort pour favoriser l’intimité de la conversation ? Pourquoi donner de la valeur à pouvoir être joint à tout moment, alors que cet usage n’existait pas ? A part peut-être dans les situations d’extrême urgence ?

Il n’envisageait sûrement pas non plus à quel point la société allait évoluer, à la faveur de la déferlante Internet et sa multiplicité de services. Et il n’imaginait surtout pas un nouveau couteau suisse et ses nouveaux usages, et comment l’accès à ses nouveaux services pourrait lui simplifier la vie, ou en tout cas la changer si profondément, qu’elle lui rendrait ce lien avec les autres quasiment indispensable.

En effet, un consommateur a souvent du mal à se projeter dans un usage radicalement nouveau, parce qu’il est encore hors du champ de son imaginaire. Pour donner un avis sur un objet qui n’existe pas, il est contraint de revenir aux référents qu’il connaît pour juger, exprimer ses désirs, mais aussi ses angoisses et ses peurs.

Mais dès que les téléphones sans fil ont pu être massivement industrialisés et miniaturisés, et les services commercialisés pour des cibles grand public, le véritable usage s’est installé. Et très vite, les consommateurs ont exprimé que le principal atout du téléphone mobile était le gain de liberté, gage du succès auprès du public.

L’exemple de la téléphonie sans fil est cependant un cas extrême, car il s’agit d’une innovation de rupture, où de nombreux paramètres d’avenir n’étaient pas facilement perceptibles pour un consommateur.

Dans la plupart des cas, les innovations s’insèrent dans un écosystème déjà existant, pour lequel le consommateur a déjà un vécu. Il peut ainsi juger et donner son avis par rapport à son expérience.

Pour innover, il faut constamment être attentif au client tout au long du processus d’innovation, sous peine de lui proposer un produit inadapté ou sans valeur pour lui. Et il est de plus en plus facile et de moins en moins coûteux de simuler et tester un nouveau produit et ses usages anticipés, voire de mettre un produit sur le marché et le faire évoluer continuellement en fonction des retours clients.

C’est donc tout le contraire, le consommateur est maintenant bien au cœur de très nombreuses innovations !
Simplement la manière dont l’interaction se fait avec le consommateur a été bouleversée.

 

Les outils traditionnels ne permettent plus d’innover : quelles méthodes te semblent aujourd’hui performantes ? On parle beaucoup de Design Thinking…

Le Design Thinking est effectivement une démarche d’innovation qui intègre l’expérience utilisateur au cœur de la conception du produit. Il a été théorisé par Tim Brown et l’université de Stanford. Il est issu de sa pratique chez IDEO, une des entreprises leader en design, connue notamment pour avoir travaillé sur le Palm V ou la souris d’Apple.

Elle est particulièrement adaptée aux problématiques complexes, c’est à dire lorsqu’on ne sait pas précisément ce que les clients veulent, ou qu’il faut intégrer de très nombreux paramètres dans le nouveau produit ou le nouveau service. En prenant en compte la globalité du système, elle vise en particulier à trouver des solutions à la fois réalisables, viables, et désirables pour le client.

En partant de problématiques clients, elle fait se succéder différentes étapes : recherche et analyse des informations sur ces problématiques, reformulation du besoin vu du client par exemple sous forme de scénario vécu par des personas, qui sont des archétypes de clients ou d’utilisateurs cibles. Puis viennent les phases d’idéation, de prototypages et de test. Ces phases peuvent se succéder, jusqu’à aboutir à une première version que l’on va mettre sur le marché, en général pour l’expérimenter en contexte réel, puis pour le commercialiser dès que le niveau de qualité acceptable par l’utilisateur et voulu par l’entreprise est atteint.

Cette méthode s’appuie sur du concret, comme ces scénarios incarnés par des personas, des maquettes et des prototypes, sur lesquels les clients peuvent réagir ainsi que les équipes projets, leurs gouvernances et les parties prenantes.

Ce sont des démarches aujourd’hui couramment utilisées, des grandes entreprises aux start ups, car elle permettent de concrétiser très vite les idées et les présenter. Avec les outils du digital, il est aujourd’hui presque à la portée de tous de pouvoir simuler des briques de produits et de services, qui intègrent de plus en plus souvent du logiciel, dont les interfaces et les enchaînements d’écrans, que ce soit pour un téléphone ou pour un écran d’ordinateur, sont assez faciles à simuler…

 

Aujourd’hui, les consommateurs sont assaillis d’innovations : comment s’assurer qu’une innovation est pertinente, qu’ils vont sans emparer ? L’iPhone a été un succès planétaire, l’iPad nettement moins, l’iWatch … pas du tout !

Il faut rester extrêmement modeste sur la prédictibilité d’un succès, le moindre grain de sable peut transformer un nouveau produit en un échec.

Effectivement, dans le cas de l’iWatch et ses concurrents, les consommateurs ont surtout fait remonter qu’ils n’avaient jusqu’à présent pas encore été séduits par une « killer application » qui la rende indispensable. L’iWatch propose surtout l’accès à des services déjà accessibles sur son mobile, en le déportant sur sa montre, pour les rendre plus facile d’accès. D’autre part, il y a un attachement fort à « sa » montre, et tous les consommateurs ne veulent pas abandonner leur propre montre, pour un outil technologique. Mais la deuxième version vient tout juste de sortir, rappelons-nous que l’iPhone, dans sa première version, n’avait ni 3G ni même encore le concept « d’application store » ! On verra si les futures versions, qui prendront en compte les feedbacks clients issus des usages qui auront émergé, permettront à ce type d’objet de trouver une place ou s’ils disparaitront à terme. Via Apple directement, ou via des partenaires de l’écosystème de la watch, qui viennent renforcer sa valeur d’usage auprès des clients.

L’approche user centric est un must aujourd’hui, mais de multiples autres facteurs contribueront à en faire un succès pour les clients, du prix naturellement, à l’insertion dans un écosystème qui viendront l’enrichir et le faire évoluer.

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