Dans un récent papier, nous évoquions le rôle important joué par le contexte dans la pertinence et la richesse de nos souvenirs ; nous allons maintenant en tirer quelques conséquences méthodologiques pour les études marketing.
Penchons-nous par exemple un instant sur le souvenir publicitaire assisté recueilli, soit dans un omnibus, soit dans une étude de type Usages & Attitudes : le 1er mode, en multipliant les contextes, brouille les pistes tandis que le 2nd a déjà fortement ravivé le contexte communicationnel – à moins de passer le diagnostic publicitaire en début d’enquête.
Mais c’est bien évidemment dans les approches qualitatives que la maîtrise du cadre contextuel se révèle la plus cruciale : tout d’abord, pour accéder à ce contexte, il convient déjà d’activer la « bonne » mémoire : l’épisodique, pas la sémantique.
Prenons un exemple simple : vous souhaitez comprendre comment les téléspectateurs organisent leur soirée face au petit écran et décident des programmes qu’ils vont regarder – vous devez lancer la thématique lors d’un focus group.
1ère possibilité, vous lancez le débat : “comment choisissez-vous le film, la série, l’émission, etc. que vous allez regarder ?” Ce faisant, vous vous adressez à … la mémoire sémantique, les participants vont « rationnaliser » leurs choix – et vous passerez à côté de la réalité.
2nde possibilité, vous amorcez la mémoire épisodique en demandant à vos participants de vous raconter ce qui se passe à partir du moment où les membres de la famille rentrent le soir à la maison… et là vous découvrirez que c’est le premier rentré qui allume le poste, que l’on bascule sur telle ou telle chaine pour les infos … et que si ce qui suit est bien, on y reste sans trop se poser de questions.
Dans d’autres familles, c’est le père qui aura noté les émissions sportives de la semaine et se désintéressera des autres jours « pour ne pas monopoliser les choix », etc.
On rentre généralement dans la mémoire épisodique par des détails souvent mineurs … et toujours extrêmement personnels ; ensuite, c’est comme un jaillissement : tout se reconstruit, le souvenir devient évident et riche.
La mémoire sémantique est collective, généralement construite sur la répétition : ainsi tout le monde a appris que « deux et deux font quatre » et que « Carglass répare, Carglass remplace », peu importe que ce soit sur les bancs de primaire ou devant sa télé ; la mémoire épisodique est nécessairement individuelle et ce sont des fragments intimes que le modérateur va s’attacher à faire surgir.
Bien sûr, le mode d’accès par excellence à la mémoire épisodique est l’entretien individuel : en groupe, la discussion entraîne toujours une certaine rationalisation (= plongée dans la mémoire sémantique et construction d’un univers abstrait) alors que seul face à un psychologue qui l’écoute avec bienveillance, l’interviewé(e) se laissera aller tranquillement à ses divagations.
Aujourd’hui de nouvelles approches – notamment en s’appuyant tant sur la réalité virtuelle que sur la réalité augmentée – peuvent venir enrichir les études marketing, notamment en renforçant l’accès à la mémoire contextuelle ; en revanche, attention à ne pas jouer aux apprentis sorciers en introduisant de faux souvenirs là où on ne recherchait que faciliter l’accès aux souvenirs … réels !