La décennie qui se termine aura très certainement été marquée par le grand retour de la pensée magique, alors même que notre monde semble embarqué dans une immense fuite en avant technologique – et rationnelle donc.
Antonio Damasio, dans L’erreur de Descartes, avait souligné le rôle des émotions et des sentiments dans des prises de décision que nous aurions souhaitées uniquement rationnelles.
Daniel Kahneman et les chercheurs en économie comportementale lui avaient emboité le pas, soulignant que la plupart de nos arbitrages procèdent de ce qu’il nomme notre Système 1, système qui nous rend notamment réceptif à la pensée magique et religieuse.
Après 4 siècles de cartésianisme, sciences cognitives et neurosciences replacent la pensée magique et le non rationnel au centre du débat.
Une pensée magique jusque-là méprisée car considérée comme caractéristique d’une mentalité « primitive » : commune à l’homme pré-civilisé et à l’enfant, elle cherche une explication à ce qui échappe à sa compréhension dans des forces mystérieuses ou des croyances mystiques, comme l’animisme ou le panthéisme où l’omniprésence divine remplace une pensée scientifique inexistante.
L’homme confère donc à ces « forces mystérieuses » des pouvoirs que lui-même ne maîtrise pas, ni ne comprend ; des forces qui lui sont nécessairement supérieures.
Ces forces peuvent se concrétiser dans… la Force : on notera le succès planétaire des Derniers Jedi, huitième épisode de Stars Wars.
Contrairement à la pensée mythique qui s’appuie sur des récits structurés – d’où la démarche structuraliste d’un Claude Lévi-Strauss – la pensée magique demeure plus confuse, plus subtile, et bien évidemment inaccessible à la raison à laquelle elle se substitue.
Dans le même temps, nous vivons également la montée en puissance d’une intelligence supérieure à la nôtre : l’intelligence artificielle – IA ou AI, ce qui rend le terme plus mystérieux que de plus simplement parler… d’algorithmes – qui cachée sous le pseudonyme d’AlphaGo a battu Lee Sedol, champion du monde en titre du jeu de Go.
Dire que l’AI relève de la pensée magique constituerait un raccourci quelque peu trop rapide : pour les ingénieurs qui en programment les algorithmes, il ne s’agit que d’applications scientifiques.
Pour autant, la question peut se poser pour bien d’autres personnes, notamment les professionnels du marketing qui espèrent que des systèmes auxquels ils ne comprennent pas grand-chose – voire rien du tout – vont résoudre tous les problèmes, de l’identification des clients potentiels à la vente finale : et là, nous nous situons bien dans le champ de la pensée magique où l’on attribue aux choses des pouvoirs qui nous échappent.