Qui n’a jamais fait l’expérience de croiser dans une soirée professionnelle quelqu’un « que l’on connaît » sans pour autant pouvoir replacer son nom ou son poste ; et quand un ami commun vous révèle son identité, vous vous dites en vous-même : « comment ai-je pu oublier ? ».
Notre mémoire à long terme – celle qui stocke au fil des jours les informations dont nous aurons besoin par la suite – enregistre différemment ce qui est le fruit d’un apprentissage – rangé dans la mémoire sémantique – et ce qui résulte de notre vécu – une somme gigantesque de faits organisés dans notre mémoire épisodique.
Mémoires sémantique et procédurale sont dites déclaratives – ou encore explicites car nous pouvons plus ou moins aisément en exprimer le contenu – contrairement à la mémoire procédurale – qualifiée également d’implicite – qui contient ce que nous savons faire, sans toujours pouvoir dire comment nous le faisons : le langage courant évoque des actions machinales.
Notre mémoire de travail – en permanence alimentée par un flux sensoriel continu : ce que nous voyons, entendons, sentons, etc. – va puiser dans la mémoire à long terme des données pertinentes à notre vie quotidienne … mais différemment selon qu’il s’agit de données sémantiques ou épisodiques.
« 4 + 4 = 8 » ou « Marignan 1515 » résultent d’un long apprentissage : de telles informations sont rapidement et, plus ou moins, aisément accessibles dans notre mémoire sémantique ; sans cela, pas de calcul mental !
Les connaissances épisodiques sont à la fois bien plus vastes – elles renvoient à tout notre vécu – et donc plus complexes à organiser : notre cerveau ne ressemble pas à un gigantesque disque dur d’ordinateur où rien ne se perd, avec son répertoire précis.
Certains éléments importants apparaissent extrêmement accessibles : ceux que l’on qualifie généralement de marquants – on parle alors de mémoire factuelle.
Mais la plupart s’organisent de manière plus diffuse : ils « cohabitent » en une même zone (c’est bien sûr une image) parce qu’ils partagent en commun divers caractères : personnes exerçant la même profession que nous dans un même ensemble, individus vivant dans notre quartier dans un autre, etc.
Bref autant de contextes différents au sein desquels se situent nos diverses relations, nos actions, les évènements que nous avons vécus, etc. : on parlera alors de mémoire contextuelle.
Ce qui explique les désagréments évoqués en début de cet article : si nous – enfin, notre cerveau – ne cherchons pas dans le bon contexte … impossible de récupérer quoi que ce soit de pertinent … et d’où notre incapacité à remettre un nom sur un visage !
On pénètre dans un contexte par une image, un détail, parfois infime : une trace mnésique – ce peut être juste une odeur, un goût, un son ; et à partir de cette trace va se reconstruire l’intégralité du ou des souvenirs correspondants … un peu comme Marcel Proust retrouve le souvenir des madeleines de son enfance :
« Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi […] Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray […], ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul ».
Bien entendu, les études marketing doivent tenir compte de ces processus, non seulement pour augmenter la richesse des résultats – en actionnant le bon contexte, on obtient une foule de détails – mais surtout pour leur pertinence : des consommateurs qui ne « trouvent rien à dire » vont avoir tendance à inventer.
Nous approfondirons cette mise en œuvre dans un prochain papier.